A l'assaut de Dusso

Une folle expédition ?


Quelques semaines auparavant, trois aigles majestueux s’étaient perchés en haut de la plus haute falaise visible du village, suscitant l’intérêt croissant des villageois d’abord admiratifs, puis de plus en plus intrigués au fil des jours, voyant que le trio magnifique se tenait toujours impassible et immobile. Puis la méfiance s’installa progressivement. Les villageois ne les voyaient toujours pas bouger du haut de la cîme et commençaient à élaborer les hypothèses les plus diverses, certains d’entre eux allant même jusqu’à déclarer qu’ils étaient les envoyés du diable. D’autres moins expéditifs allèrent quémander l’aide de prêtres afin de voir s’il ne s’agissait pas d’un message divin. Il apparût que c‘était le cas et déchiffrant les messages des dieux dans les entrailles d’oiseaux-serpents, les prêtres annoncèrent qu’un passage vers des contrées inconnues des terres argentées avait été découvert et révélèrent à la population amassée le moyen de parvenir vers ce nouveau territoire qu’ils décidèrent de surnommer Dusso. Au soir de cette révélation, les aigles prirent leur envol et nous savions tous que l’entrée vers ce nouveau monde nous serait accordée très prochainement par les dieux.


Le passage fut révélé tôt le lendemain matin et déjà, de nombreux explorateurs aguerris et impatients s’y étaient rapidement rendus. La veille, plusieurs membres des Eternal Witness pressentant l’imminence de l’évènement, avaient déjà préparé leurs sacs et accumulé les potions les plus revigorantes du royaume connues à ce jour et fournies par les plus puissants mages de Boudok. A l’annonce du départ, notre reine Fugazi nous avait prévenus : « Prenez garde, vous aurez à craindre des créatures terribles, mais il m’a été rapporté que Popples et le Troll bavard, membres des Enfers, y faisaient aussi régner la terreur à leur manière. Je dois pour ma part vous laisser, des affaires hors de ce royaume m’attendent, mais mes pensées vous accompagneront, soyez forts ».


C’est ainsi que je décidais de tenter ma chance, après tout n’avais-je point moi aussi voyagé à travers les terres arides et pénibles de Baduk et survécu aux créatures les plus cruelles et les plus terrifiantes connues sur les terres argentées ? Je rejoignis alors le prêtre à qui l’on avait donné la charge de déterminer quels seraient les guerriers et les mages qu’il jugerait aptes à faire le voyage. Passant le test avec succès, j’accompagnais le prêtre qui me demanda de le suivre jusqu’à l’orée de la forêt voisine. Il prononça alors une phrase sibylline et un épais brouillard commença à prendre forme. Celui-ci, d’abord opaque et presque sombre, commença à s’illuminer progressivement pour finalement laisser apparaître une lumière presque aveuglante dont la source se diffusait à travers les couches brumeuses. Un dragon jaune majestueux apparût alors de ce foyer de lumière et je compris que le passage vers le nouveau monde était assuré par cet animal aux allures fougueuses et aux mouvements presque nerveux mais qui dégageait en même temps une tranquillité imposante. Je chevauchai alors la monture du dragon qui s’envola immédiatement, m’obligeant par réflexe à m’accrocher instinctivement à ses écailles, et rapidement nous parvînmes à hauteur des nuages où le trajet vers ce monde dont personne ne soupçonnait l’existence devenait enfin réalité.

Voyage au bout de l’enfer


Arrivé enfin sur cette terre inconnue, une impression de solitude m’envahit, que le froid intense et glacial renforçait. Un vent cinglant frappait ma peau et ma première réaction fût de détourner violemment la tête, surpris par la gifle infligée. Ayant repris mes esprits, j’inspectais les environs : entouré par une chaîne de montagnes, je ne pouvais qu’emprunter le chemin dangereux et presque suicidaire du glacier qui se trouvait devant moi. J’avais alors hâte de rejoindre l’étendue de neige qui se trouvait à quelques lieux sur ma gauche afin d’y retrouver des appuis fermes.


Après avoir passé les falaises escarpées , je parvins enfin sur un plateau stable où je décidais de poursuivre mon chemin. Je ne rencontrais hélas que peu de monstres dignes de ce nom, et je commençais à m’interroger sur la véracité des rumeurs concernant les créatures qui peuplaient cette contrée, quand soudain, j’aperçus furtivement l’image de la mort passer devant moi et poursuivre son chemin ; elle avait décidé de ne pas user de sa faux, mais cela sonnait comme un avertissement … C’était en réalité le facétieux Troll bavard qui tentait sans doute de donner de la concurrence aux créatures de ces contrées encore bien discrètes. Me relevant péniblement, je pris la décision de continuer vers le sud, où je croisais Onclemol, Pégase ou encore Eléa. Ces deux derniers me mirent en garde : « N’emprunte surtout pas le passage qui mène à la ville qui se trouve plus au sud , la mort y est assurée, de puissants mages, tel Abaddon y sont morts, ils n’ont pas pu lutter contre les terribles dragons argentés ! »


Avisé du conseil, mon regard se porta alors à l’est où le linéament sinueux de la banquise s’étendait à l’infini et laissait présager d’une longue route à suivre. J’entrepris alors mon long périple. Mais plus j’avançais et plus les créatures qui peuplaient cette contrée, que je croyais inexistantes au début, apparaissaient et ne cessaient de déferler sur moi, toujours plus puissantes, plus nombreuses et plus étranges : des dragons aux carapaces bombées qui ressemblaient à s’y méprendre à des tortues, des poulpes possédant plusieurs têtes, sans doute envoyées par le diable lui-même, ou encore d’étranges êtres difformes et évanescents, traces de temps antédiluviens, semblaient emprisonner des âmes, mais les blessures qu’elles m’infligeaient étaient bien réelles et devaient être à l’image de la solitude et de la haine refoulées pendant des siècles par ces âmes damnées.


J’avançais alors avec peur, me retournant souvent, sursautant au plus petit bruissement, scrutant les moindres mouvements de l’eau. Les ombres vivaces se mêlaient aux reflets furtifs de la banquise, et la réalité se mélangeait au surnaturel pour tromper tous mes sens. C’est à ce moment là, que plusieurs citrouilles terrifiantes aux pouvoirs maléfiques déboulèrent devant moi : elles m’auraient laissé inerte et gisant à même le sol si, par miracle, je n’avais échappé de peu au doux baiser de la mort. Je n’eus alors qu’une envie, trouver rapidement un refuge afin de m’éloigner au plus vite de ce chemin infernal vers la mort. J’aperçus miraculeusement une ville au loin : était-ce un signe du destin ou une autre illusion perfide de ce monde qui tentait par tous les moyens de détruire le peu de vie que je représentais sur ces terres froides et stériles ? Je croyais sans doute que ma peine allait enfin prendre fin et un doux réconfort emplit alors mon âme : je me mis à courir vers cette ville quand soudain, plusieurs anges de la nuit s’abattirent sur moi et leurs assauts multiples me poussaient à me battre encore et encore. Tel un forcené, je parvins enfin à échapper à leurs étreintes assassines et à atteindre le havre de paix.

Ce cadeau qu’on refuse à un enfant


Agenouillé sur le sol , je mis du temps à reprendre mes esprits, repassant en tête les récents évènements et me demandant dans quelle fournaise j’étais allé me fourrer. Encore haletant et le regard vague, je pus néanmoins me rendre compte au bout d’un instant que quelques rares habitants se trouvaient dans cette ville. Ils ne furent cependant pas étonnés de me voir dans ce piteux état, sans doute étaient-ils habitués à voir de nombreux guerriers arriver chancelants et au bord de la folie aux abords de la ville. Et aucun d’entre eux ne parût se soucier de mon cas, je les voyais passer sans même me porter un regard. A l’image de cette contrée, ils étaient froids et secs.

Je décidais de les ignorer à mon tour. Après tout, il y’avait plus urgent et j’aurais tout le temps par la suite de faire plus ample connaissance avec eux. Je me dirigeais donc vers les premiers magasins que je rencontrais. Je fus intrigué par l’un d’eux ayant la forme d’un temple ; un écriteau à son entrée m’indiqua vite qu’on y enseignait des sorts de magie extrêmement puissants, tels « flammes du paradis » ou encore « sort de soins total », en l’échange de quelques millions de pièces d’or. Je pensais à la joie des magiciens qui parviendraient jusqu’ici et je fus vite amené à me demander s’il existait des joyaux adaptés aux guerriers.
Pris d’enthousiasme, je me mis à déambuler tel un fou dans la ville, courant partout, inspectant la façade d’une enseigne à gauche, regardant par dessus les épaules du vendeur dans le magasin de droite. Etonnamment, les gens alentour toujours aussi indifférents, ne réagissaient pas. « Grrrr, allez tous en diable, pensais-je», mais je ne savais pas ce qui était le plus humiliant : mon attitude loufoque et déraisonnée qui me faisait passer pour un fou, ou ce dédain qu’affichait les habitants de cette ville pour qui j’étais encore un de ces nombreux guerriers ébahis devant de nouveaux jouets. « Qu’à cela ne tienne, j’irai chercher mes jouets, malgré votre arrogante indifférence ! ». A peine eus-je cette pensée qu’enfin, j’aperçus l’endroit de toutes mes convoitises devant moi : un magasin d’armes pour guerriers. Mes yeux s’embuèrent et une petite larme coula sur ma joue.

J’avançais alors vers ce lieu magnifique, mon cœur de guerrier endurci battait la chamade, tandis qu’un sourire niais apparaissait sur mon visage : j’entrais alors dans le magasin et commençait à courir dans tous les sens, empoignant chaque arme et imaginant comment je pourrais tuer toutes les horribles créatures qui m’avaient fait du mal tout à l’heure : « Tiens, toi, le poulpe diabolique, prends-toi ça dans la face, et toi, la citrouille terrifiante, tiens, voilà, je t’écrase ». Pendant que je continuais à m’émerveiller tel un enfant, le vendeur, lui, ne s’offusquait même pas de me voir dans un tel état de béatitude innocente. Je haussais les épaules et prenait à mon tour un air indifférent et hautain. Je vis alors un pendentif de toute beauté, éclatant et me demandait à quoi il pouvait bien servir.
«
- C’est un pendentif universel, me dit le vendeur, voyant mon visage radieux et anticipant ma question. Il donne à celui qui le porte une force insoupçonnée …
- Combien ? j’achète ! lui répondis-je instantanément.
- 11 300 000 pièces d’or, annonça-t-il quand un léger sourire narquois commença à apparaître sur son visage
- Je reviens, où se trouve la banque ?
»

Le vendeur partit alors dans un énorme éclat de rire, ayant déjà deviné ma question et me dit : « Mais mon bon monsieur, il n’y pas de banque ici ! ». Je compris alors quelle était la signification de cet étrange sourire et ressentit un énorme sentiment d’injustice, tel l’enfant à qui l’on refusait le jouet magnifique devant lequel il pourrait s’extasier durant toute une journée. Et comme toujours, le vendeur resta indifférent à mon regard rancunier empli d’une envie de meurtre et qui lui disait : « Toi, je te déteste … ».

HRP Encore, la suite SVP magnifique